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Plus straight que les straights!

© SMITH | Portrait d’Océan | 2018

 

Par Océan

Depuis le début de ma carrière de comédien et auteur, j’ai eu à cœur de livrer des représentations positives et joyeuses des LGBTQI+.

Parce que je pense que pour se construire en tant que LGBTQI+, il est nécessaire d’avoir nos propres narrations, et que, s’il est vital de dénoncer les violences que nous subissons, nous avons aussi besoin de personnages de fiction puissants, auxquels chacun·e puisse s’identifier, qui nous fassent rire et nous donnent de l’espoir.

C’est aussi à l’aide de la fiction que nous pouvons mener cette lutte pour obtenir l’égalité des droits, comme nous avons acquis le mariage et comme nous devons conquérir la PMA. Cette PMA qui fait débat en ce moment, alors que l’égalité ne devrait jamais être un débat mais une évidence.

Néanmoins, et parce que en tant que blanc privilégié qui se met en scène, j’ai produit une œuvre justement de ce point de vue là, je pense que les LGB (les Lesbiennes, les Gais, les Bi⋅es, et c’est à dessein que je ne parle pas ici des TQIPOC[1]), doivent être très vigilant·es et attentif·ves à ne pas devenir plus « straight » que les straights, c’est-à-dire plus normatif·ves et rigides que les cis hétéros qui se pensent comme « les gens normaux », la référence de ce qui est « bien ». Je vous recommande chaudement à ce sujet la lecture du dernier ouvrage de Sam Bourcier [2] qui décrit cette tendance avec une grande acuité.

Car aujourd’hui, même si l’homophobie est encore très vivace, nous pouvons nous marier et nous pourrons (j’espère !!) bientôt avoir des enfants en toute légalité dans notre pays. Dans certains milieux professionnels et un nombre d’entreprises grandissant (grâce au travail notamment d’associations comme L’autre Cercle [3]), il est possible de faire son coming out et l’homophobie est heureusement punie par la loi. Mais au même moment où les choses évoluent positivement, de façon étrangement paradoxale, plus les LG ont des droits, plus la proportion des LG conservateur·es et racistes, en particulier envers les musulman·es, se manifeste, abandonnant délibérément les luttes des TQIPOC, sauf pour rappeler à quel point ils/elles sont harcelé·es dans les pays arabes, ou dans les familles musulmanes françaises. Occultant volontairement du même coup toutes les familles musulmanes ouvertes aux LGBTQI+, et la violence qui traverse de nombreuses familles, quelle que soit leur religion ou leur absence de religion.

J’ai pu constater cette dérive en 10 ans de carrière, notamment à la réaction de certain·es fans de mon premier spectacle « La Lesbienne Invisible », quand j’ai ensuite dénoncé l’islamophobie, la putophobie et le racisme de gauche dans mon second spectacle et dans des articles. Pour ces personnes, seule la question de l’homophobie, voire de la lesbophobie était importante, et toute démarche amenant à penser l’intersectionnalité, les violences policières ou le racisme d’État fut perçu comme une erreur, un égarement de ma part.

Ce rejet a par la suite pris des proportions toujours plus grandes et plus politiques, nourrie par la haine du Printemps Républicain, de Caroline Fourest ou de Christine Le Doaré pour ne citer qu’eux et elles, notamment quand Alexandre Urwicz de l’Association Des Familles Homoparentales a tenté en 2017 de faire annuler le prix européen « Tolerantia » que je devais recevoir en envoyant des courriers de pression à la Secrétaire d’État Marlène Schiappa et SOS Homophobie, qui n’ont heureusement pas cédé.

Pour ces raisons, participer à donner vie au Collectif Irrécupérables est apparu comme une évidence et une nécessité pour moi. Je pense que c’est une erreur fondamentale de lutter pour nos droits sans lutter pour les droits de toutes les personnes qui subissent des discriminations de la part de l’État et de la société civile au quotidien.

Certes, nos communautés sont toujours menacées par le système patriarcal, raciste et capitaliste, fondé en soi sur la domination. Mais nos communautés sont aussi menacées par elles-mêmes, quand elle se mettent à considérer qu’il y a des droits plus importants que d’autres, quand elles se contentent du brandiement d’un rainbow flag à l’entrée d’un bar, d’une entreprise, d’une région ou un pays, pour considérer que « tout va bien ».

Je rêve que nous ne devenions pas nos propres ennemi·es, que nous ne nous limitions pas à des objectifs mesquins et égoïstes, « rikiki » comme dirait Bourcier, et que nous soyons le continuum des premiers mouvements LGBTQIOC dans les années 70 aux États-Unis, quand les gays marchaient avec les noir·es, les femmes, les prolétaires ; en nous révoltant contre toutes les discriminations et en essayant en permanence d’associer nos luttes à tou·tes pour être plus fort·es.

Comme l’a dit Angela Davis quand elle est venue à la Bourse de St Denis en 2015 (je la cite de mémoire) : « Si nous parvenons à libérer les femmes, noires, transgenres, en prison, alors nous libèrerons tout le monde ».


[1] Trans/Queer/Intersexes/Persons of Color

[2] « Homo Inc.Orporated, le triangle et la Licorne qui pète », Sam Bourcier, ed. Cambourakis.

[3] http://www.autrecercle.org/page/qui-sommes-nous

Ce texte n’engage que la responsabilité de son auteur. Les textes du collectif sont signés « Par le collectif Irrécupérables ».