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On ne lutte pas contre l’homophobie en manif par le mépris de classe

Stop Homophobie et Mousse, deux assos LGBT françaises, ont porté plainte contre trois grévistes de la RATP ayant proféré des insultes homophobes. Elles ont publié, avec d’autres associations comme Urgence Homophobie, Flag, Le Refuge ou SOS Homophobie, une tribune dans Têtu visant à demander aux responsables politiques et syndicaux de condamner ces propos homophobes. Cette stratégie nous semble exprimer un certain mépris de classe et être dommageable, y compris pour les luttes que ces organisations LGBT entendent mener.


Nous sommes queers, pédés, gouines, bi·es, trans, non-binaires, intersexes (et nous reprenons le pouvoir sur les insultes en les renversant, en les utilisant pour nous autodéfinir, au lieu de les subir dans la bouche des homophobes). Nous participons aux luttes pour la défense et l’amélioration des retraites, contre la casse généralisée de l’école, la fac, l’hôpital, les transports, qui vise à encore enrichir les plus riches. En tant que minorités, nous savons que la destruction de la protection sociale nous touchera et se cumulera aux effets des LGBQTIphobies (notamment dans l’accès à l’emploi, au logement, à la santé). C’est pourquoi nous ne pouvons pas séparer les luttes contre les politiques libérales, classistes et racistes des autres luttes. Les luttes LGBTQI s’articulent elles aussi dans le cadre d’une vision globale qui implique réflexion collective, réévaluation des stratégies, remise en cause permanente pour ne pas opposer ou hiérarchiser les luttes.

En manifestation, sur les piquets de grève, lors des AG au travail, comme dans toutes les sphères de la société par ailleurs, il nous arrive de faire face à des propos sexistes, homophobes, transphobes sur des pancartes, dans des slogans, parfois lancés au micro ou au mégaphone. Nous intervenons par des « Macron, on t’encule pas, la sodomie c’est entre ami·es« , par des protestations qui aboutissent à des dialogues, de manifestant·e à manifestant·e, et non en tant qu’instance morale supérieure condamnant de surplomb des syndicalistes. Nous expliquons que ces insultes participent au mal-être des LGBTQI, qu’elles arrangent les puissants qui ont ainsi beau jeu de diviser et nous hiérarchiser, exactement comme ils le font d’ailleurs avec la question des retraites. Nous rappelons que les LGBTQIphobies servent des intérêts de classe dans la gestion des recrutements, du droit du travail et participent ainsi à la précarisation générale du marché et à la mise en concurrence des plus vulnérables.

Cette déconstruction sera impossible si l’on choisit de faire des luttes minoritaires un outil classiste de disqualification des luttes syndicales, si l’on considère la lutte contre l’homophobie comme un devoir moral, et non comme une lutte politique qui se pense avec d’autres, dans une vision globale de la société, ou bien si l’on ne voit pas qu’il est contreproductif pour la lutte LGBTQI elle-même de manifester des indignations sélectives selon la forme que prend l’expression de l’homophobie et le statut social de son auteur·e. 

C’est pourtant le choix qu’ont fait plusieurs organisations de lutte contre l’homophobie, essentiellement tenues par des hommes cis gay. Deux d’entre elles portent plainte contre trois syndicalistes ayant lancé de telles insultes lors d’un piquet de grève. Nous critiquons le fait que Jean-Luc Mélenchon nie l’homophobie de ces insultes en croyant y voir un simple échauffement viril propre à la lutte. Ce sont bien des insultes homophobes, c’est pourquoi elles sont à dénoncer et à bannir. Mais il est indispensable de le faire de façon pertinente, faute de quoi la lutte contre l’homophobie devient un outil de répression des mobilisations pour la défense de la protection sociale.

Dans une tribune publiée par Têtu, ces mêmes organisations s’associent à d’autres pour condamner la prégnance d’insultes homophobes en manifestations, se focalisant sur la seule homophobie et négligeant, comme à leur habitude, les autres minorités. Parmi les organisations signataires, une association de policiers LGBT. Les syndicalistes reçoivent maintenant des leçons de la part des policiers LGBT (qui n’ont jamais protesté contre les violences policières ni contre l’usage de ces mêmes injures homophobes par des policiers à l’égard des manifestant-es) qui leur expliquent ce qu’est la défense des droits humains. Et pourtant, ces syndicalistes sont confrontés tous les jours à des atteintes au droit fondamental de manifester et aux violences policières. Ce texte cautionne donc, par ce seul signataire, les violences policières.

Cette tribune exprime par ailleurs tout son mépris de classe. En ce sens, elle est contre-productive pour lutter partout contre l’homophobie, objectif affiché des signataires. Demander à l’ensemble des leaders politiques et syndicaux de prévenir ou sanctionner l’homophobie de la base, s‘adresser à eux comme s’ils et elles n’étaient pour rien dans les LGBTQIphobies qui structurent notre société (parce qu’elles aident à la gouverner à coup d’inégalités et de concurrence des exclu·es), c’est bien évidemment considérer que cette base et les classes populaires sont plus homophobes que les autres. C’est donc classiste. C’est refuser de voir les LGBTQIphobies qui viennent du haut. On ne peut convaincre de la nécessité d’intégrer la lutte contre l’homophobie à d’autres luttes sociales quand on refuse soi-même de mener cette lutte, ou au moins de la comprendre, quand on considère que les dirigeant·es ou les tribunaux sont les seul·es à avoir les solutions. Faute de quoi, on réduit les luttes LGBTQI à des outils de répression et de discrédit des mobilisations populaires.

Les organisations écrivent par exemple : « dans les différentes vidéos qui ont été tournées lors de ces dérapages homophobes, on constate l’absence de réaction des personnes présentes ». Peut-être tout simplement parce que, lorsqu’il y a eu réaction, comme celle que nous pouvons, nous, avoir en manif, les responsables de ces propos sont convaincu·es que faire circuler ces vidéos reviendrait à relayer l’homophobie, et ne le font pas ! On peut donc tirer du même constat des conclusions opposées selon que l’on ait des préjugés classistes sur l’homophobie des manifestant·es, comme les signataires de la tribune, ou une expérience de terrain de la lutte contre l’homophobie en manif. Selon que l’on parle d’égal à égal, ou qu’on s’empresse, par une posture de classe digne des plus grands éditocrates télévisés, de considérer tout·e manifestant·e comme un·e complice des LGBTQIphobies.

Le classisme se traduit aussi par les indignations sélectives des signataires. Le Refuge s’affiche avec des personnalités de droite médiatisées et opposées aux droits des personnes LGBTQI. Urgence Homophobie a défendu Cyril Hanouna après son traquenard homophobe et sa production décomplexée de sexisme et de LGBTQIphobies. Le maintien au gouvernement d’un homophobe notoire tel que Darmanin, à un poste où il peut liquider les services publics (ministre de l’Action et des Comptes publics), n’a jamais suscité chez les signataires une indignation comparable à celle qu’ils manifestent dans leur tribune. 

On voit bien ce qu’il en coûte de lutter contre l’homophobie avec une vision morale simpliste, et non une conception politique globale des LGBTQIphobies. En effet, tout comme le demande la tribune, Valérie Pécresse, élue avec Sens Commun et La Manif pour Tous, ennemie proclamée des études de genre, ayant programmé de démarier les couples homos, a bondi sur les plateaux télé pour condamner les insultes homophobes des grévistes. Les signataires de la tribune sont-ils satisfaits qu’une femme politique qui lutte contre les droits des personnes LGBTQI se saisisse de leur appel pour faire croire que l’homophobie se limite à des seuls excès verbaux issues des catégories populaires, et se fasse passer pour une progressiste qui défendrait la dignité des personnes LGBTI ? C‘est bien la conséquence logique des choix opérés par ces associations.

Il est vrai que Pécresse, Darmanin, Hanouna et les élu·es qui dialoguent avec le Refuge ou Urgence Homophobie ne disent pas publiquement « pédé », « enculé » ou « suceur de bite » sous les dorures de leurs salons ou sous les projecteurs des plateaux télés. Ils et elles seraient « distingué·es », même si leur combat politique consiste à renforcer une société inégalitaire qui exclut les trans, les lesbiennes, les intersexes. A suivre les choix idéologiques de certaines organisations signataires, on pourrait presque se dire : « Quel dommage que les grévistes de la CGT n’aient pas policé l’expression de leur homophobie, quel dommage qu’ils s’engagent par ailleurs dans un combat vital pour les droits sociaux ! S‘ils avaient mené des politiques homophobes en buvant une tasse de thé le petit doigt en l’air, et consacré leur pouvoir à ruiner les droits sociaux, la plupart des associations signataires n’auraient jamais signé une telle tribune contre eux : leurs responsables auraient plutôt twitté des photos avec eux. »