On dit souvent du sexisme et de l’homophobie qu’ils sont l’apanage du rap. Chaque parole douteuse est scrutée et analysée pour mieux pointer du doigt ce genre musical souvent décrié et méprisé par les médias mainstream. On a toutefois tendance à oublier que le rock, l’électro et la variété ne sont pas en reste à ce niveau-là.
Par Vikken, dj et activiste trans
Pour preuve, cette compilation non-exhaustive de 30 chansons populaires bien sexistes qui ne sont pas du rap, compilation créée par le média Madame Rap. On y trouve Brassens, Sardou, Dylan, les Stones, mais aussi Bruno Mars.
Est-ce étonnant ? Non, pas vraiment, malheureusement. Notre éducation genrée et sexiste nous fait intérioriser et intégrer subtilement que les femmes doivent être à disposition, qu’elles appartiennent à l’espace public. Qu’elles sont moins importantes et moins capables.
Il n’y a donc rien de surprenant dans le fait qu’elles soient ramenées à l’état d’objets dans la culture populaire. La musique – quelle qu’elle soit – se nourrit de la culture, et le sexisme y est omniprésent.
C’est aussi vrai dans les autres aspects d’une carrière musicale.
Quand on lit des articles traitant d’artistes féminines, on remarquera l’usage fréquent de mots pour les décrire physiquement. Des adjectifs comme « jolie » ou « belle » reviennent régulièrement, alors qu’il semblerait tout à fait incongru de les appliquer à leurs homologues masculins. On attend d’elles qu’elles soient « douces », qu’elles parlent d’amour, qu’elles soient incapables de faire quoi que ce soit sans l’aide des hommes – dixit Björk.
Je pense alors aux femmes que je connais qui jouent de la batterie et à qui l’on dit « tu tapes fort pour une nana ». Aux compositrices à qui l’on dit « je croyais que t’avais juste écrit les paroles ». Aux productrices « tu as fait ça toute seule ? ». Aux DJs et musiciennes confrontées aux ingénieurs du son pendant leurs balances « tu as besoin d’aide pour t’installer et te brancher ? » dit sur un ton condescendant voire paternaliste. Je peux affirmer avoir personnellement vécu plusieurs fois la dernière situation citée avant ma transition, lorsque j’étais encore perçu comme femme dans l’espace public. Cela ne se produit plus du tout, on part du principe que je sais ce que je fais, du fait que mon apparence physique est désormais reconnue comme masculine.
Cette différence de traitement se ressent dans le milieu des musiques électroniques notamment : en effet une femme DJ gagne généralement moins qu’un homme, à expérience équivalente. Les différents témoignages de bookeurs et de DJs indiquent qu’il est compliqué pour une femme de demander le même cachet, du fait qu’elles sont moins prises au sérieux. Par ailleurs, pour se rendre compte de la sexualisation subie par les femmes DJ, il suffit de faire une recherche d’images : une grande partie des résultats montre des femmes en petite tenue, là pour contenter le regard masculin, et suggérant ainsi qu’elles sont que peu ou pas compétentes.
Plusieurs études ont été menées par le collectif berlinois Female:Pressure, qui s’intéresse de près au sexisme et au manque de représentation dans les musiques électroniques et les arts numériques. Il a été démontré qu’il y a moins d’artistes féminines présentes dans les clubs (environ 10% en 2015), les labels (18% en 2015) et les festivals (environ 19% en 2017). De plus, seulement 8% d’entre elles sont enregistrées en tant que compositrices à la Sacem, la Société des Auteurs Compositeurs et Éditeurs de Musique, qui s’occupe de la gestion de la très grande majorité des droits d’auteurs en France. Cela signifie que très peu de femmes touchent des droits relatifs à de la composition musicale, qui est traditionnellement reconnue comme une activité masculine.
Ces problématiques sexistes sont les mêmes dans le rock au sens très large. C’est encore plus évident dans le métal (et ses dérivés), genres caractérisés par leur hypersexualisation des femmes, et par leur culture ultraviriliste et machiste qui prône une certaine idée de la masculinité qui, de facto, accepte difficilement l’homosexualité. Il y a tout de même des exceptions : les réactions ont été plutôt bonnes en 1998 au moment du coming out de Rob Halford, chanteur de Judas Priest. Mais par exemple, certains groupes très connus, comme Guns N’ Roses ou Dire Straits ont des paroles ouvertement homophobes, voire racistes, et Steel Panther franchement sexistes.
Mais alors pourquoi tape-t-on sur le rap et pas vraiment sur les autres styles de musiques ?
Tout simplement parce qu’il est né de la communauté noire, qu’il a été longtemps considéré comme dangereux par l’opinion parce que dénonçant une réalité qui est celle du racisme institutionnalisé. Cette réalité dérange, du fait qu’elle est régulièrement remise en question par la majorité blanche qui ne souhaite pas perdre ses privilèges. Le rap politique et conscientisé existe encore aujourd’hui en France (Casey, Keny Arkana, La Rumeur,…) et aux États-Unis (Kendrick Lamar, Chance The Rapper, Dead Prez,…), mais est beaucoup moins mis en avant que dans les années 80 et 90 où le rap distribué à grande échelle était la plupart du temps conscientisé. Aujourd’hui, il a été assimilé par la culture mainstream pour en faire un produit formaté. La musique reste, mais le message politique a été dissous à des fins commerciales.
Enfin, le traitement médiatique des minorités raciales est globalement biaisé, perpétuant ainsi un peu plus le racisme. Même si le message politique n’est plus là, on retient juste que cette musique est associée aux banlieues et aux personnes racisées. On se focalise alors sur ce style, qui peut en effet être sexiste et homophobe, mais comme tout dans notre société. C’est un énième moyen de stigmatiser les personnes des quartiers populaires en les faisant passer pour non « intégrables » à des valeurs que la République elle-même ne respecte pas.
Toutefois, le rap est en pleine mutation. Il y a une réelle remise en question des codes du genre depuis ces quinze dernières années à travers des artistes plus ou moins influents, qui font progressivement bouger les lignes. En témoigne l’apparition de rappeurs noirs ouvertement queer aux États-Unis, comme Mykki Blanco, Le1f, ainsi que Franck Ocean et Angel Haze qui ont tou.te.s fait le choix d’aborder la question de leur sexualité. Dans le cas de Franck Ocean, déjà très connu aux États-Unis avant son coming out, le retentissement a été énorme. En espérant que ce soit prochainement le cas en France.
On notera qu’il existe assez peu de personnalités françaises qui se revendiquent LGBTQI dans le milieu de la musique, quel qu’il soit. Parmi elles le chanteur Slimane, gagnant de la saison 5 de The Voice, qui parlait récemment de l’homophobie et du racisme islamophobe qu’il subissait sur les réseaux sociaux.
En attendant, ces problématiques sont beaucoup moins pointées du doigt dans d’autres styles majoritairement investis par des artistes blancs. Il y a bien entendu des exceptions, mais on pardonnera toujours plus facilement ces comportements aux personnes non-racisées. Pour exemple, le titre pop « UR So Gay » de Katy Perry. Cette chanson s’adresse à un homme hétérosexuel qui ressemblerait trop à l’idée qu’elle se fait des hommes gay, et elle l’attaque avec des poncifs plus homophobes les uns que les autres. Et en France, Johnny Halliday avait fait polémique en 2011 avec ces propos homophobes « Alain Delon c’est un vrai mec de toute façon. Je ne pense pas être un pédé moi non plus, bon. »
Aujourd’hui, dire sciemment du rap qu’il est seul responsable du sexisme et de l’homophobie dans la musique est de la mauvaise foi et de la malhonnêteté intellectuelle. Ces comportements sont inhérents à notre éducation et notre culture, il n’est donc pas surprenant d’être confronté à eux de façon récurrente. Si le rap est autant controversé, ce n’est pas tant pour son caractère sexiste et son incitation à l’homophobie, que le fait qu’il réveille chez beaucoup de blanc.he.s leur manière raciste de voir le monde. D’ailleurs, si des rappeurs blancs comme Fuzati ou Orelsan connus pour leurs textes violents et profondément misogynes restent assez loin des polémiques, il en est tout autrement pour des chanteurs racisés comme Kaaris ou Booba qui vont, eux, subir des attaques et des jugements politiques qui vont directement remettre en question leur identité en tant que citoyens français.
L’homophobie et le sexisme sont alors mis de côté, et utilisés à des fins racistes. Ce n’est donc pas le rap et les rappeurs qui remportent la palme des comportements les plus problématiques, mais tous les courants musicaux, puisqu’ils puisent leur inspiration dans notre culture qui est profondément sexiste, misogyne et homophobe.
En bonus, quelques liens qui évoquent la place des femmes, des personnes racisées et des queers dans la musique métal.
http://simonae.fr/sciences-culture/musique/tu-fais-du-metal-toi-musiciennes/
http://simonae.fr/sciences-culture/musique/tu-fais-du-metal-toi-racisees/
http://simonae.fr/sciences-culture/musique/tu-fais-du-metal-toi-queer/
Ce texte n’engage que la responsabilité de son auteur. Les textes du collectif sont signés « Par le collectif Irrécupérables ».