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Nier le racisme d’Etat, c’est le laisser prospérer

« Le racisme d’État n’existe pas », nous disent Jean-Michel Blanquer, la Licra, le Printemps républicain, SOS Racisme, Raphaël Enthoven, etc. Pourtant…

Par Jérôme Martin

Texte initialement paru sur le blog « Vendeur-ses de haine » du Club de Médiapart le 2 mars 2018.

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Racisme d’État et santé

Un malade du sida vient d’être expulsé illégalement par l’État français dans un pays où il ne pourra pas se soigner. C’est une condamnation à mort, au mépris du droit, des conventions internationales et de toute humanité. Alertés par l’Observatoire du droit à la santé des étranger·es (ODSE : Act Up-Paris, Aides, la Cimade, la LDH, le Gisti, etc.), les ministères concernés n’ont pas bougé. Alors que l’expulsion était imminente, la Licra n’a rien dit, rien fait, rien entrepris. Elle était trop occupée à empêcher un nouvel événement non-mixte organisé par le collectif Mwasi : empêcher une expulsion d’un malade du sida ou empêcher des enfants de voir un film, la Licra a choisi.

L’expulsion d’une personne malade ne date pas de Macron (voir cette affiche d’Act Up-Paris), la remise en cause du titre de séjour pour soins est une pratique courante, que ce soit dans son application (lire le dernier rapport de Aides sur les discriminations à l’égard des personnes vivant avec le VIH, en se rappelant que l’association parlait de « racisme d’État » sur les réseaux sociaux à sa publication) ou par les responsables politiques.

L’exclusion de personnes sans-papiers de la Couverture Maladie Universelle (CMU) et leur cantonnement à un sous-régime très insuffisant, l’Aide Médicale d’État (AME) (voir à ce lien) est une autre manifestation d’une xénophobie d’État à caractère raciste. Il s’agit bel et bien de l’application de la préférence nationale au système de santé.

Des données épidémiologiques témoignent d’un traitement distinct des personnes d’origine étrangère. On s’en tiendra à une seule : 32 % des migrant·es découvrant en France leur séropositivité au VIH la découvrent à un stade avancé de l’infection, alors que le sida est déjà déclaré. Ce taux est de 21 % pour les personnes nées en France [1]. De telles données, dont les causes sont multiples mais impliquent l’État, devraient faire réfléchir celles et ceux pour qui le racisme se limite à des manifestations de haine ou de la discrimination d’individu à individu.

Racisme d’État et enfermement

L’État français est le pays qui expulse le plus alors que la durée de rétention est la plus courte (voir article à ce lien). L’enfermement en centre de rétention détruit la vie des personnes. Les centres de rétention administrative restent des zones où le droit a du mal à s’appliquer (voir cet article par exemple). Le Gisti et la Cimade demandent ainsi des comptes à la présidente de la Cour d’appel après qu’une décision de cette instance a nié la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et confirmé la rétention d’une femme et de son bébé. La Cour d’appel a ensuite dissimulé cette atteinte au droit en diffusant une version tronquée de sa décision masquant son refus d’appliquer la jurisprudence de la CEDH.

L’État enferme donc des bébés, des enfants malgré la jurisprudence européenne et les principes d’humanité élémentaires. L’inflation est réelle (voir cet article). La Licra se tait et affiche fièrement son partenariat avec le ministère responsable de ces atteintes aux principes fondamentaux de droit et d’humanité.

Un Français s’est retrouvé en centre de rétention, comme l’a raconté l’Humanité (voir article à ce lien). Selon cette militante, le cas n’est pas isolé :

Mais « le racisme d’État n’existe pas ».

Mineurs isolés, traitements inhumains et délit de solidarité

Des dizaines de jeunes mineur·es se retrouvent à la rue, abandonné·es par l’État (voici par exemple une description de la situation à Lyon, ce constat à Rouen, cette alerte à Paris). L’État, par le biais de l’Aide sociale à l’enfance et des associations à qui elle délègue la tâche (Croix-Rouge, France Terre d’Asile, etc.) transforme souvent l’accès aux droits basiques (reconnaissance de mineurs isolés, hébergement, couverture maladie, etc.) en parcours du combattant, en refusant la reconnaissance de mineur·es isolé·es, en obligeant à passer par un·e juge pour l’obtenir, etc.

La France affame et assoiffe les migrant·es, les empêche de dormir en les gazant. Il faut passer par la justice pour qu’un préfet daigne lever, un peu, les entraves  de distribution de nourriture ou l’accès l’eau par les forces de l’ordre (voir le dossier de presse du Claq à ce propos, avec toutes les références). Médecins du Monde a alerté sur le fait qu’une consultation médicale itinérante à Calais avait été interrompue par les forces de l’ordre (voir à ce lien).

La France abandonne des migrant·es à la frontière italienne, pieds nus, dans le froid et la neige (voir reportage à ce lien, voir aussi cet appel au secours des associations locales). Elle continue d’expulser des mineur·es illégalement et il faut un parcours du combattant juridique pour la faire condamner. Elle poursuit celles et ceux qui n’ont pas abdiqué toute humanité et les aide : Martine Landry, Cédric Herrou, et d’autres.

Dénoncé par toutes les associations de défense des droits humains, humanitaires et/ou de terrain, le projet de loi Asile et Immigration, le énième texte répressif en vingt ans va restreindre un peu plus le droit des migrant·es, le droit d’asile, augmenter la rétention, faciliter les expulsions (voir des analyses sur le site de la Cimade ou en vidéo sur la page Facebook du Baam – mais pas sur le site de la Licra qui préfère mettre sur le même plan un concept politique comme le racisme d’État et une insulte raciste :

Contrôles au faciès

La France a été définitivement condamnée pour contrôle au faciès (voir communiqué de la Cour de cassation à ce lien). Les juges rappellent qu’ « un contrôle discriminatoire engage la responsabilité de l’État ». Celles et ceux qui nient l’existence du racisme d’État arguent de cette condamnation et de la séparation des pouvoir pour plaider leur cause. C’est négliger, volontairement ou non, les difficultés de tenir une telle plainte, les inégalités face à la justice et les rapports de force. Et c’est aussi masquer la réalité quotidienne des contrôles discriminatoires.

Scolarité et racisme d’État

Comité des droits de l’enfant, des Nations-Unies, European Roma Rights Center, Collectif pour le Droit des Enfants Roms à l’Éducation (CDERE), Défenseur des droits : de nombreuses instances ont documenté le traitement systématiquement stigmatisants que subissent les enfants rroms dans leur scolarité et que je développe dans cet article : cela commence par les refus d’inscription de ces enfants par les élu·es locaux·les, agissant au nom de l’État (article L 2122-27 du Code général des collectivités publiques). Cela continue avec les préfectures qui, au lieu d’imposer l’inscription comme le prévoit l’article L2122-34 du Code général des collectivités publiques, soutiennent les élus et se retournent contre les familles et leur soutien quand elles saisissent la justice. L’expulsion d’un camp rrom devrait prendre en compte la scolarité des enfants. Dans la réalité, il n’en est rien, ce qui fait que quand il ou elle a été inscrit·e, un·e enfant rrom doit ensuite compter avec les ruptures de scolarité. A l’automne 2016, le CDERE comptait 58 % de jeunes déscolarisé·es sur les 161 personnes de 12 à 18 ans qu’il avait recensées dans 34 bidonvilles et squats. Le droit à la scolarité est refusé et combattu par l’État et ses instances pour une catégorie de personnes, en fonction de leur origine. Comment appeler cela autrement que « racisme d’État » ? Comment expliquer que des groupes ou des personnalités publiques prennent plus d’énergie à combattre celles et ceux qui dénoncent ces discriminations, plutôt qu’à les combattre eux-mêmes ?

La situation est tout aussi dramatique pour les jeunes primo-arrivant·es privé·es eux aussi de scolarité. Le 24 janvier dernier, plusieurs organisations (Sud Education 93, CGT Educ’Action 93, SNFOLC 93, SNES 93, RESF 93, LDH 93) appelaient à un rassemblement pour dénoncer les atteintes au droit à l’éducation : « l’institution met toujours des mois voire un an à affecter certains élèves pourtant testés et orientés (…) la DSDEN [administration départementale de l’État en charge de ces questions] prétend « inclure » les élèves allophones en supprimant les classes d’accueil. En réalité elle diminue les moyens attribués à ces élèves à besoins particuliers. » Même constat du défenseur des Droits qui pointe des délais très longs d’orientation et d’inscription, de plusieurs mois, pendant lesquels les jeunes ne sont donc pas scolarisé·es.

Le racisme d’État à l’école ne se limite pas à ces traits les plus saillants et les plus violents. Inégalités dans l’accès aux ressources scolaires et aux diplômes, orientations subies, vexations, harcèlement islamophobe de jeunes femmes portant jupes longues ou rubans : la liste est longue.

Il faudrait aussi parler de violences policières, dont les victimes sont majoritairement non-blanches ; ou encore de discriminations dans la fonction publique ou encore… D’autres concepts que la notion de racisme d’État, par ailleurs objet de discussion entre universitaires ou militant·es, peuvent-ils rendre compte de ces phénomènes et aider à les combattre ? Qu’on les présente, qu’on en parle, qu’on en débatte.

En attendant, les Licra, Printemps républicain, Enthoven and co, celles et ceux qui combattent les militant·es de l’antiracisme politique par la disqualification constante, et parfois l’intimidation judiciaire, ne parlent que très peu de ces phénomènes. Ils et elles laissent faire, rendant le combat antiraciste plus difficile, laissant les manifestations de racisme institutionnel prospérer.


[1] SANTÉ PUBLIQUE FRANCE, Les découvertes de séropositivité VIH chez les migrants en France, juillet 2016

Ce texte n’engage que la responsabilité de son auteur. Les textes du collectif sont signés « Par le collectif Irrécupérables ».